Couper la connexion … pas le cordon!
Quatre ans après l’entrée à marche forcée dans la vie des entreprises, le travail à distance est remis en question. Les accords et chartes de télétravail ont souvent été signées pour trois années. 2024 va donc marquer le début des renégociations.
La fin de l’« open bar » pour certains, celle d’une liberté, d’une autonomie pour d’autres, mais souvent le début d’un retour au cadre normalisé assurant aux salariés le maintien d’un fragile équilibre.
Nous sommes-nous posés les vraies questions ?
Aux États-Unis, les géants de l’industrie numérique enjoignent leurs collaborateurs à regagner les bureaux. Une étude de Stanford révèle que les taux de productivité des salariés en « full remote » ont chuté de 10 à 20%. Pourtant, le « Retour Au Bureau » RAB, n’a permis qu’un gain de 5% des performances. Dans l’hexagone, 83% des entreprises veulent inciter leurs salariés à réduire une activité en distanciel, 7 sur 10 imposent des jours de présence obligatoires.
Alors, où est la vérité ? Il semble que « la liberté de choisir son lieu et temps de travail » ait été la voie la plus efficiente. Le chiffre d’affaires des entreprises ayant proposé aux salariés de s’interroger et d’opter pour la modalité qui leur correspondait le mieux, affichent un bond de 21%. Le travail hybride semble gagner la bataille.
Pourrions-nous imaginer que les organisations aient gagné en maturité ? Il serait absurde de penser que tous les coéquipiers trouvent leur équilibre dans le même modèle. Les contextes de vie (famille – logement), âge, équipement, mais également caractères et personnalités posent la base d’une réponse modulable. Quelques profils s’épanouissent dans l’exercice de leur profession de façon délocalisée et indépendante alors que d’autres ont besoin de l’interactions sociales plus soutenues, d’un cadre structuré et structurant.
En quelques années, les écrans se sont imposés dans les espaces familiaux, perturbant les deux sphères professionnelles et personnelles. Combien de bêtisiers ont circulé sur les réunions interrompues par des bambins, des animaux de compagnie, ou des seniors qui se promènent derrière la caméra ? Amusant ? Pas tant que cela…
Quelques chiffres : Au niveau mondial, plus de la moitié des salariés travaillent en dehors des murs du bureau principal la moitié de la semaine ; coworking, domicile. Ils déclarent apprécier le gain de temps dans les transports, de ne plus être importunés par les collègues et la liberté de mieux organiser leur journée.
Franchissons maintenant la porte des maisons s… Qu’observe-t-on ? L’hyper connexion règne ; le temps de travail n’est plus rythmé par l’heure d’arrivée et de départ, l’individu n’échange qu’au travers un écran sur des plages horaires conscrites par l’application qui accueilleront des visios. Le salarié modèle se plie aux exigences des groupes ; levé tôt pour les métiers en contact avec la production, sur l’heure du déjeuner pour réussir à joindre un commercial, et le soir on répond au sms du patron… J’ai ainsi vu des collaborateurs se lever à l’aube pour une visio, ne pas prendre le temps de déjeuner et continuer des échanges informels après 20.00. Le phénomène dépasse pourtant le seul symptôme de l’épuisement.
Le cadre familial s’expose à de nouvelles règles qui n’ont pas été discutées au sein du foyer, ni même été pensées. Devant la crise sanitaire nous avons tous fait montre d’une adaptabilité hors du commun. Les managers ont improvisé, les familles aussi !
Les plus chanceux ont pu s’isoler pour créer leurs espaces de travail, les enfants ont appris que « quand papa ou maman parlent devant leur ordinateur, il ne faut pas faire de bruit ». Le téléphone a pris place autour de la table, dans la voiture, au restaurant, dans les transports mais plus dingue… les caméras sont entrées dans les chambres, les salons, pour mieux surveiller le pitchoune qui joue quand on est en train de bosser !
Pour avoir la paix, on a délaissé peu à peu les limites que nous avions établies, les règles de vie en collectif et en famille. Les temps d’écran ont explosé, la reprise du contrôle par les parents sur les activités de leurs enfants finit par être tellement douloureuse qu’ils se font aider par des professionnels.
Le couple n’est pas épargné ! L’hyper-connexion s’invite dès le réveil, jusqu’au coucher. On distingue deux types de liens ;
– le message professionnel : il contient une question, une information qui ne souffrirait pas de ne pas être connue avant le lendemain,
– les échanges informels des « groupes » auxquels la non-participation revendiquée exposerait
le rebelle à l’exil ! Une intimité ni professionnelle, ni amicale se noue.
On se met au lit en consultant ses derniers mails, on s’empresse de liker la dernière bêtise d’un collègue sur whatsapp, et l’écran se glisse sous la couette.
Les séances de réunion à distance sont autant d’occasions de subir une effraction dans sa sphère privée. Rythmes de la famille, décors et ambiances, vie avec les enfants. Karine de Leusse (Psychologue) me rapportait dernièrement qu’un papa subissait la menace de son enfant « si tu ne me laisses pas jouer à la console, je te pourrie ta Visio » ! Nous connaissons des parents contraints de faire garder les bambins à l’extérieur du domicile pour pouvoir travailler ! N’y voyez-vous pas le stade paroxystique de l’explosion de la cellule familiale ? On ramène le travail à la maison, on externalise les gamins en faisant appel à un professionnel !
En passant la journée à converser avec un écran, quelle légitimité avons-nous pour expliquer que le lien social est plus important que le lien virtuel et qu’il est préférable d’aller faire un tour de vélo ou jouer au ballon avec les copains que de passer des heures sur leurs téléphones ou consoles ? Comment faire passer un message d’amour à des petits quand il prend conscience que le monsieur derrière l’ordinateur est plus important que son bien être ? Le parent qui se surinvestissait professionnellement et brillait par son absence n’était-il pas moins violent pour un enfant que celui qui, face à lui, le délaisse au profit de ses écrans ?
Prenons garde … L’hyper-connexion professionnelle est peut-être le socle de la déconnexion intergénérationnelle.
Elvire